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L’Afrique centrale est-elle un modèle à suivre en termes de développement durable dans le traitement des déchets textiles ?

Les déchets textiles représentent aujourd’hui un enjeu majeur, à la fois environnemental, économique, social et politique. Chaque année, d’immenses quantités de vêtements délaissés sont acheminées à travers le monde via le commerce de seconde main, alors même que la production textile continue de croître de façon alarmante, ayant doublé entre 2000 et 2024. 

En Afrique centrale, plusieurs initiatives locales tentent de répondre aux défis environnementaux liés aux déchets textiles. Mais la situation reste préoccupante. Lorsqu’un consommateur européen dépose ses vêtements usagés dans une borne ou une association, seuls 7 % sont réellement recyclés. La majorité est exportée sous l’étiquette « réutilisable », bien que nombreux de ces textiles, trop abîmés, finissent dans des décharges à ciel ouvert. Chaque année, des millions de tonnes en provenance d’Europe et des États-Unis affluent ainsi vers les ports africains. Jennifer Van Driessche, chargée d’Éducation à la Citoyenneté Mondiale et Solidaire (ECMS) pour l’ONG WSM, observe cette dégradation : « Il y a plus de vingt ans, lorsqu’ils ouvraient les ballots, quasiment tout était utilisable. Aujourd’hui, près de 40 % sont immédiatement considérés comme des déchets. » Elle souligne que ces vêtements, souvent inadaptés et usés, forment des montagnes de déchets difficilement gérables, qui s’amoncellent dans les rues et les décharges.

La fast fashion a son rôle mais n’est pas l’unique responsable de cette surproduction

Effectivement, encore trop peu de législations internationales concernant la régulation de production sont mises en place ou bien même mises en application. Jennifer Van Driessche l’affirme, les États d’Afrique centrale et de l’Est ont exprimé la volonté d’instaurer des droits de douane sur l’importation de vêtements de seconde main, dans le but de freiner considérablement l’arrivée massive de ces textiles sur leur territoire. Cette décision a suscité une vive réaction de la part des États-Unis, qui ont menacé d’exclure ces pays du dispositif de la loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique. Une telle exclusion aurait privé ces États d’avantages commerciaux, notamment de tarifs douaniers préférentiels. Face à ces pressions, la majorité des pays concernés ont finalement renoncé à ce projet. Ce sont des États qui sont beaucoup plus faibles et qui ont beaucoup moins de possibilités de s’affirmer sur un marché́ mondial . De plus, elle mentionne qu’il ne s’agit pas uniquement d’enjeux économiques mais aussi et principalement, d’enjeux politiques qui se tiennent pour responsable de cette surproduction. 

Des limites structurelles et économiques

Par manque d’infrastructures adaptées et de soutien politique, la majorité des déchets textiles continuent de finir dans des décharges sauvages ou dans les rivières. Jennifer Van Driessche rappelle : « On parle beaucoup de la gestion des déchets, mais avant d’avoir un déchet, il y a toute la production de consommation.» Si l’on souhaite tendre vers un système mieux encadré, respectueux des limites planétaires ainsi que des droits sociaux et des conditions de travail, il sera nécessaire de ralentir le rythme de production. Cette démarche permettrait de réduire considérablement l’accumulation de déchets et de rétablir un modèle plus durable. C’est dans cette direction qu’il conviendrait d’évoluer.

Décharge à ciel ouvert en Afrique centrale ©Pixabay

L’Afrique centrale, laboratoire du durable textile

Les pays du Nord ont ainsi recours à une méthode indirecte pour se débarrasser de leurs déchets textiles en envoyant leurs vêtements usagés vers les pays du Sud, contraignant ces derniers à gérer les conséquences de la fast fashion sans disposer des infrastructures nécessaires et adéquates. Malgré ces contraintes, l’Afrique centrale se révèle être un terrain d’expérimentation précieux. Par nécessité plus que par choix, les populations locales développent des techniques de valorisation et des circuits de réutilisation adaptés à leurs réalités. Jennifer Van Driessche souligne : « Il s’agit de populations vivant dans une grande précarité, qui doivent, comme partout ailleurs, subvenir à leurs besoins essentiels : se nourrir, se soigner et se vêtir. Dans ce contexte, l’option du vêtement de seconde main représente une alternative plus abordable, malgré les coûts liés à l’importation. Elle constitue ainsi une réponse possible à la demande locale pour des populations disposant de ressources limitées»

D’après elle, observer et documenter ces pratiques pourrait enrichir les réflexions globales sur la gestion durable des déchets textiles et inspirer des alternatives plus respectueuses de l’environnement et des équilibres sociaux : « Nous, notre rôle comme société civile c’est de faire entendre justement la voix de ceux qui sont mis de côté » développe Jennifer Van Driessche. 

Un modèle exportable ?

La question demeure : ces solutions locales peuvent-elles servir de modèle à d’autres régions du monde ? Il faut rester prudent avant de parler de modèle. Chaque contexte est spécifique. Ce qui fonctionne à Kinshasa ou à Douala repose sur des réseaux sociaux, des traditions et des conditions économiques très différentes de celles qu’on connaît ici déclare Jennifer Van Driessche

Elle ajoute cependant que certains principes pourraient être repris : le recours aux circuits courts, la valorisation artisanale des déchets ou encore l’implication directe des communautés dans la gestion de leurs déchets textiles. Des pistes intéressantes pour réinventer la filière textile mondiale, aujourd’hui responsable de 10 % des émissions mondiales de CO₂ selon les Nations Unies et selon le parlement européen, l’industrie textile serait à l’origine d’environ 20 % de la pollution mondiale de l’eau potable.

Une source d’inspiration prudente

En définitive, l’Afrique centrale ne peut, à ce stade, être considérée comme un modèle universel en matière de développement durable dans le traitement des déchets textiles. La région fait face à d’importantes difficultés structurelles, qu’elles soient économiques, logistiques ou environnementales, qui limitent sa capacité à gérer efficacement les flux massifs de vêtements usagés en provenance du Nord. Néanmoins, dans ce contexte contraint, des initiatives locales émergent, portées par des acteurs de terrain, des associations ou des coopératives, qui cherchent à limiter l’impact environnemental et social de ces déchets. Ces démarches, bien que modestes et souvent artisanales, prouvent qu’il est possible de concevoir des systèmes de réemploi, reposant sur des savoir-faire locaux et des circuits courts. 

Anthime Parmentier (21 ans).

Etudiant en communication et journaliste, vidéaste à en devenir.